HABSBOURG

HABSBOURG
HABSBOURG

La maison de Habsbourg, plus connue à partir du XVIe siècle sous le nom de maison d’Autriche, eut une vocation européenne et faillit bien, avec l’empereur Charles Quint, parvenir à la monarchie universelle. Mais comme les Valois s’opposèrent de toutes leurs forces à ce dessein et que les Bourbons, au XVIIe siècle, tentèrent par tous les moyens de ruiner la puissance des Habsbourg, ceux-ci passent encore dans l’historiographie française pour l’exemple typique de l’«ennemi héréditaire». Et pourtant quoi de plus passionnant, dans l’histoire européenne, que le destin de cette famille qui sut bâtir deux empires, l’espagnol et l’autrichien, en tolérant les particularismes locaux, car les Habsbourg avaient une conception de l’État radicalement opposée à celle des rois de France? Alors que ces derniers cherchaient à centraliser, à uniformiser, les Habsbourg respectaient les traditions et la diversité, même lorsqu’une certaine centralisation eût été possible, comme c’était le cas dans la péninsule Ibérique. C’est pourquoi ils devinrent la cible favorite des historiens nationalistes du XIXe siècle, qu’ils fussent tchèques, allemands, belges ou italiens – les uns leur reprochant d’avoir opprimé leurs ancêtres, les autres de n’avoir pas fondé un État national allemand.

Les origines: Xe-XIIIe siècle

Sans remonter à des origines mythiques, romaines, mérovingiennes, voire troyennes, on peut admettre que la famille descendait du duc d’Alsace Etichon et qu’elle s’établit, vers l’an 1000 en Suisse alémanique, autour du château de l’Épervier (Habichtsburg, canton d’Aargau). Les seigneurs de Habsbourg multiplièrent le nombre de leurs possessions en Suisse et en Haute-Alsace (c’est eux qui fondèrent, par exemple, le couvent d’Ottmarsheim). Ils établirent dans ces contrées leur première puissance territoriale et l’empereur Frédéric II de Hohenstaufen ne négligea pas leur appui. Mais le véritable fondateur de la dynastie fut Rodolphe, qui fut élu roi des Romains en 1273, après le Grand Interrègne consécutif à la disparition des Hohenstaufen. Leur richesse était alors suffisante pour leur assurer une base territoriale solide, mais leur puissance n’était pas assez grande pour porter ombrage aux autres princes allemands.

La légende fait de Rodolphe de Habsbourg un prince quasi parfait; mais elle passe sous silence son ambition forcenée. Assurément Rodolphe était un réaliste qui renonça aux chimères du couronnement impérial à Rome et aux dangers de l’expédition italienne (der Römerzug ) pour fortifier le pouvoir monarchique en Allemagne ; cette politique fut amèrement critiquée par Dante et les gibelins italiens, mais fort appréciée de ses compatriotes allemands, las des combats du Grand Interrègne. En outre, Rodolphe alliait une grande piété au sens bien compris de ses intérêts; c’est lui qui, par exemple, est à l’origine de la dévotion fervente de tous les Habsbourg à l’égard du Saint-Sacrement. Bien entendu la légende de Rodolphe a été développée et entretenue pour accréditer l’image que la maison d’Autriche voulait donner d’elle-même: elle serait le défenseur prédestiné de la paix, de la justice et de la religion. Telle est la part du mythe. En réalité Rodolphe n’hésita pas à défendre ses propres intérêts en luttant énergiquement contre le roi de Bohême Otakar II P face="EU Caron" シemysl. Par sa victoire du Marchfeld, en 1278, Rodolphe déplaça le centre de gravité de sa puissance territoriale qui, de rhénane devint danubienne. Il fut le créateur de la maison d’Autriche, et on peut le considérer comme le fondateur véritable de la dynastie. Ascension trop rapide au gré des autres princes allemands: les Habsbourg connurent une éclipse politique jusqu’au XVe siècle, période au cours de laquelle ils s’enracinèrent profondément dans la terre d’Autriche, en attendant des destins plus brillants.

La monarchie universelle: l’empire de Charles Quint (1519-1555)

La monarchie universelle était bien le but de Frédéric III, qui l’exprima dans sa devise A.E.I.O.U. (Austriae est imperare orbi universo. Il appartient à l’Autriche de régner sur tout l’univers). Élu empereur en 1440 pour défendre les intérêts de la chrétienté et des princes allemands en Europe orientale, il ne ressemblait guère à son illustre ancêtre du XIIIe siècle. Il inaugure la longue série des Habsbourg qui surent triompher de l’adversité par la patience et l’immobilisme; comme plus tard Rodolphe II, Léopold Ier ou François II, il temporisa, quitte à être considéré sur le moment comme un médiocre souverain. Battu par le roi de Hongrie Mathias Corvin, chassé de Vienne, sa capitale, qui aurait pu prévoir que son arrière-petit-fils serait Charles Quint? Taciturne, hostile aux aventures guerrières, mais tenace, il fit pourtant la fortune de la dynastie en mariant son fils Maximilien avec l’orpheline de Malines, Marie de Bourgogne. La mort de Charles le Téméraire devant Nancy en 1477 ne devait pas profiter aux Valois, malgré l’habile politique de Louis XI. Par son mariage, Marie de Bourgogne apportait aux Habsbourg les Pays-Bas, qui ne leur échapperont définitivement qu’à la fin du XVIIIe siècle, brouillant pour près de trois siècles les maisons de France et d’Autriche. Désormais le processus des unions dynastiques est amorcé, justifiant la formule célèbre Bella gerant alii; tu, felix Austria, nube (que d’autres fassent la guerre; toi, heureuse Autriche, conclus des mariages). En effet, Maximilien unissait son fils Philippe le Beau à l’héritière des Rois Catholiques, l’infante Jeanne, tandis que, par le traité de Vienne de 1515, il préparait la mainmise de la maison d’Autriche sur les royaumes de Bohême et de Hongrie. Prodigieuse ascension en vérité qui mit une famille princière allemande à la tête d’un empire mondial sans recourir aux guerres de conquête. Certes Maximilien, «le dernier chevalier du Moyen Âge», eut à disputer aux Valois héritage bourguignon et possessions italiennes, mais jamais aucun territoire ne tomba sous son autorité par droit de conquête. Les populations éprouvaient donc le sentiment que le souverain Habsbourg était l’héritier du souverain légitime et qu’il représentait l’autorité légale, à laquelle il convenait d’obéir. Les plus grandes difficultés provinrent d’une aristocratie cosmopolite qui essayait de s’imposer aux élites locales avant de s’y intégrer par mariage.

C’est pourquoi, jusqu’à 1555, un seul homme put tenter de gouverner les Pays-Bas, l’Espagne, la majeure partie de l’Italie et de l’Allemagne, ainsi que le Nouveau Monde, sans disposer d’un véritable gouvernement centralisé. S’inspirant du modèle bourguignon, Maximilien avait bien essayé de mettre de l’ordre dans le gouvernement de l’Allemagne, mais ses réformes n’aboutirent vraiment que dans les États héréditaires; Charles Quint, élu empereur en 1519, à la mort de son grand-père Maximilien Ier, abandonne, dès 1522, les provinces danubiennes à son cadet Ferdinand. Charles Quint, qui se sentait plutôt «bourguignon» (élevé aux Pays-Bas, il était de langue française), n’attribua jamais de capitale à ses États; éternel voyageur, il laissait à chacune de ses possessions sa propre administration, son propre gouvernement et s’entourait, quant à lui, de conseillers bourguignons et italiens. Son tort fut peut-être de vouloir défendre des valeurs que ses contemporains avaient déjà mises en question. Il se heurta aux nationalismes naissants, en France comme en Allemagne, et ne put rétablir l’unité politique de la chrétienté, en dépit d’éclatantes victoires militaires sur le roi de France ou sur les princes allemands. Il lutta âprement contre la Réforme, sans pouvoir sauver l’unité religieuse de la chrétienté; profondément déçu, il abdiqua pour finir ses jours dans un monastère, après avoir partagé son empire entre une branche espagnole et une branche allemande.

Le partage de l’empire des Habsbourg

Ce partage n’était qu’apparent, car tous ces royaumes sur lesquels le soleil ne se couchait jamais (et auxquels s’ajouteront après 1580 le Portugal et ses colonies d’Asie, d’Afrique et d’Amérique) restaient la propriété indivise de la famille dont le chef était le roi d’Espagne. Cependant, pour simplifier quelque peu les tâches de gouvernement, Charles Quint remit les royaumes les plus riches à son fils don Philippe (c’est-à-dire l’Espagne avec le Nouveau Monde, l’Italie et les Pays-Bas), tandis que son frère Ferdinand conservait les pays danubiens et obtenait la dignité impériale. Il y eut donc une branche allemande et une branche espagnole, étroitement unies, l’empereur restant l’allié, voire le subordonné de son parent de Madrid, de sorte que la diplomatie française considérait encore, au temps de Richelieu, la monarchie d’Espagne comme le véritable ennemi des intérêts français.

Cette alliance entre Vienne et Madrid se traduisait par une aide financière de l’Espagne à l’empereur et, bien souvent, par un appui militaire réciproque. Mais elle se manifestait surtout par une politique de mariages consanguins qui aboutit, à la fin du XVIIe siècle, à l’extinction de la branche aînée. L’historiographie classique a souvent blâmé ces mariages consanguins; en fait, ils étaient d’usage courant chez tous les possédants, nobles ou roturiers, pour éviter le partage du patrimoine. Cette politique avait donc pour but de préserver la puissance et l’unité de la famille, tout en évitant les guerres. Elle aboutit finalement à la crise de succession qui préoccupa toutes les chancelleries européennes après 1660 et s’acheva, au début du XVIIIe siècle, par un conflit généralisé, la guerre de la Succession d’Espagne. La branche aînée s’éteignit sans héritier légitime après avoir apporté à l’Espagne deux siècles de gloire au cours desquels les Habsbourg, en dépit de leur origine étrangère, s’identifièrent de plus en plus à la nation castillane. Quel Espagnol a jamais considéré, en effet, Philippe II ou Philippe IV comme un prince allemand?

On sait que l’archiduc Charles, fils cadet de l’empereur Léopold Ier, ne parvint pas à se maintenir sur le trône d’Espagne et qu’il dut finalement céder la place à Philippe V, le petit-fils de Louis XIV. Les Habsbourg ne sauvèrent de la débâcle que quelques éléments de leur patrimoine: les Pays-Bas et les États italiens; devenu l’héritier unique des deux branches en 1711, l’archiduc Charles eût en effet reconstitué à son profit l’empire de son ancêtre Charles Quint, ce dont ne voulaient à aucun prix ses alliés (en particulier la Grande-Bretagne). Devenu empereur sous le nom de Charles VI, il dut préparer sa propre succession, puisqu’il ne laissait qu’une fille unique, l’archiduchesse Marie-Thérèse. La vocation européenne des Habsbourg était terminée; ils auront encore, il est vrai, la mission de faire vivre en bonne intelligence les multiples nationalités de l’Europe danubienne.

Les Habsbourg-Lorraine (1740-1918)

À la mort de Charles VI, en 1740, la maison d’Autriche fut confrontée de nouveau à un grave péril: une coalition hétéroclite dirigée par la France voulut ruiner définitivement la puissance autrichienne. Tandis que les Électeurs refusaient la couronne au mari de l’archiduchesse, François de Lorraine, grand-duc de Toscane, Frédéric II s’emparait de la Silésie, ouvrant une nouvelle crise européenne. Finalement, en 1745, François de Lorraine fut élu empereur à la mort de son rival, l’Électeur de Bavière, et le règne de Marie-Thérèse fut l’un des plus brillants qu’ait connu la monarchie autrichienne. Grâce à sa nombreuse descendance, en ligne masculine comme en ligne féminine, Marie-Thérèse fondait une nouvelle dynastie, ce qui mettait un terme aux problèmes de succession; c’est un de ses descendants directs, l’empereur Charles Ier d’Autriche, qui régna jusqu’à l’effondrement de la monarchie, à l’automne 1918.

En dépit des caractères très divers des souverains, un trait au moins a dominé la famille des Habsbourg tout au long de son histoire: c’est sa très profonde piété et son attachement au catholicisme, aussi bien en Espagne que dans les pays danubiens. Ces princes, de tempérament bienveillant, respectaient volontiers les coutumes, les constitutions, les cultures particulières de leurs sujets respectifs, à condition que ceux-ci demeurassent catholiques. Sur ce seul point, ils étaient intransigeants à la fois par conviction intime et par principe politique. On comprend pourquoi l’historiographie libérale ne pouvait avoir beaucoup de considération pour une dynastie qui n’était ni «tolérante» ni nationaliste et qui avait conçu sa mission en fonction d’autres valeurs éthiques et politiques: fidélité dynastique, supranationalité, cosmopolitisme, catholicisme romain.

Habsbourg
dynastie qui régna sur l'Autriche de 1278 à 1918 (fin de l'Empire austro-hongrois). Elle tirait son nom du chât. de Habichtsburg, situé en Argovie (Suisse), et assit sa domination en Suisse et en Alsace au XIIe s. Rodolphe Ier, roi des Romains en 1273, acquit en 1278 l'Autriche, fondant la maison d'Autriche, qui donna tous les empereurs du Saint Empire à partir de 1440. à partir de 1291 (serment de Grütli), les Suisses infligèrent de cuisantes défaites à cette maison dont ils se libérèrent définitivement en 1499 (traité de Bâle). Les territ. de la maison d'Autriche furent immenses sous Charles Quint. En 1556, une branche espagnole se sépara; elle s'éteignit en 1700. La branche autrich. prit le nom de Habsbourg-Lorraine quand Marie-Thérèse d'Autriche épousa (1736) François de Lorraine, empereur en 1745.

Encyclopédie Universelle. 2012.

Игры ⚽ Поможем написать реферат

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Habsbourg — Pour la commune suisse, voir Habsburg (Argovie). La maison de Habsbourg ou maison d Autriche est une importante famille royale d Europe connue pour avoir fourni tous les empereurs du Saint Empire romain germanique entre 1452 et 1740, ainsi que… …   Wikipédia en Français

  • Habsbourg d'Autriche — Habsbourg  Pour la commune suisse, voir Habsburg (Argovie). La Maison de Habsbourg est une importante maison de l Europe et est connue pour avoir fourni tous les empereurs du Saint Empire romain germanique entre 1452 et 1740, ainsi que les… …   Wikipédia en Français

  • Habsbourg-lorraine — Seule branche actuellement subsistante de la Maison de Lorraine, les membres de la Maison impériale et royale de Habsbourg Lorraine sont issus du mariage du duc François III, duc de Lorraine et de Bar (1708 1765), et de Marie Thérèse de …   Wikipédia en Français

  • Habsbourg Lorraine — Seule branche actuellement subsistante de la Maison de Lorraine, les membres de la Maison impériale et royale de Habsbourg Lorraine sont issus du mariage du duc François III, duc de Lorraine et de Bar (1708 1765), et de Marie Thérèse de …   Wikipédia en Français

  • Habsbourg-Lorraine — Seule branche légitime actuellement subsistante de la Maison de Lorraine, les membres de la Maison impériale et royale de Habsbourg Lorraine sont issus du mariage du duc François III, duc de Lorraine et de Bar (1708 1765), et de Marie Thérèse de… …   Wikipédia en Français

  • Habsbourg d'Espagne — Maison de Habsbourg en Espagne Histoire de l Espagne Préhistoire de l Ibérie Celtibères …   Wikipédia en Français

  • Maison de Habsbourg — Habsbourg  Pour la commune suisse, voir Habsburg (Argovie). La Maison de Habsbourg est une importante maison de l Europe et est connue pour avoir fourni tous les empereurs du Saint Empire romain germanique entre 1452 et 1740, ainsi que les… …   Wikipédia en Français

  • Maison des Habsbourg — Habsbourg  Pour la commune suisse, voir Habsburg (Argovie). La Maison de Habsbourg est une importante maison de l Europe et est connue pour avoir fourni tous les empereurs du Saint Empire romain germanique entre 1452 et 1740, ainsi que les… …   Wikipédia en Français

  • Maison de Habsbourg-Lorraine — Habsbourg Lorraine Habsbourg Lorraine Seule branche actuellement subsistante de la Maison de Lorraine, les membres de la Maison impériale et royale de Habsbourg Lorraine sont issus du mariage du duc François III, duc de Lorraine et de Bar (1708… …   Wikipédia en Français

  • Stéphane de Habsbourg-Toscane — Pour les articles homonymes, voir Étienne de Habsbourg Lorraine (homonymie). Armes du grand duc Léopold II de Toscane Stéphane …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”